Jour 3 : Escarpement Bagot
Mercredi le 20 juillet
Lever à 7 h 10. J'ai entendu des gouttes de pluie sur la tente mais c'est plutôt intermittent. Pour être à l'abri, on déjeune dans une cabane près de nos tentes. C'est comme un petit camp de sûreté. Il y a des lits et une table, couverts de mouches mortes et de champignons. Je fais sommairement le ménage du lit et de la table, pour que l'on puisse s'asseoir et manger. Café, pain et beurre d'amandes, raisins. On prévoit se prendre un 2e café quand Françoise remarque que le soleil est sorti et que la lumière est belle. On laisse tomber le 2e café et on sort. On est comme ça nous, les photographes. On connaît nos priorités.
Je vais faire un tour du terrain du phare et prends quelques photos. Je vais ensuite rejoindre les autres en descendant le cap, vers le bord de l'océan, en empruntant un chemin carrossable mais dont la base a été coupée par mer. C'est périlleux mais je fini par arriver en bas. De toute façon, la gravité aurait bien fini par jouer son rôle même si moi j'avais échoué. Je marche vers l'est et croise Danièle qui rebrousse chemin. Elle me parle de fossiles et me montre des exemples d'éponges (Beatricia) et de coraux. On remonte ensuite, on fait sécher les toiles extérieures des tentes, on démonte notre installation et on range le matériel au camion.
Direction Pointe-Sud
Départ à 11 h 15. Direction Pointe-Sud, vers l'escarpement Bagot et son phare. Il faut rebrousser chemin jusqu'à la Transanticostienne, pour ensuite rouler une trentaine de kilomètres vers l'est et prendre un autre chemin vers le sud, dans le secteur de la rivière Bell.
Le premier arrêt de la journée se fait à cap Tunnel. Après une courte marche dans un sentier, on aperçoit le tunnel: une pointe rocheuse avec un trou dedans, le « rocher percé » d'Anticosti. On s'approche du cap en continuant sur le sentier. En regardant en bas, sur la plage, j'aperçois plusieurs grosses roches rondes. Je vise dans mon objectif et je distingue parmi ces rochers un phoque en train de se la couler douce sur la plage. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. En prononçant les mots « il y a un phoque », je me rends compte que chacune des grosses roches rondes est en fait un phoque! Il y a, devant nous à quelques dizaines de mètres, une colonie d'environ 200 phoques! Ils sont mignons avec leurs petits visages tristounets. On passe plusieurs minutes à les photographier et à les admirer. Allégresse assurée!
On dîne sur un belvédère à la chute Schmitt. Craquelins et tzatziki, crudités, pâté de cerf, confit d'oignons, jus de tomate. Il pleut de façon intermittente. De retour dans le véhicule, je dois recharger mes piles de caméra pour la première fois. Ma première carte de 32 Go est aussi bientôt pleine. La recharge se fait à l'aide d'un onduleur. C'est un dispositif qui convertit une source d'énergie continue en courant alternatif. Je peux donc brancher mon chargeur de piles et obtenir une recharge complète en environ 2 heures. Ça fonctionne bien.
La route est longue, encore une fois. Sur le chemin de la rivière Bell, elle se déploie parfois en ligne droite à perte de vue. Il s'agit de sections de route qui ont été construites sur un ancien pipeline à l'huile, dans le temps de la première prospection de pétrole. On croise un employé de Safari Anticosti. Il regarde la carte avec Danièle et nous propose un chemin de marche qui sera meilleur, selon lui, pour accéder au phare. Il faudra effectivement marcher quelques kilomètres pour se rendre à l'escarpement Bagot. Aucun chemin carrossable ne s'y rend. Au bout de la route, passé le pavillon de la rivière Bell (camp de chasse), on traverse une piste d'atterrissage désaffectée et on prend à droite dans ce que j'appellerais en bon français une trail. Après environ 1 kilomètre, on aperçoit en sentier de randonnée à gauche. Il faut marcher à partir de là. On prépare tout notre matériel pour la soirée, la nuit et le lendemain. On y va pour le strict minimum puisqu'il faudra porter tout ça sur notre dos jusqu'au phare.
La randonnée dure environ 45 minutes. On marche à un bon rythme. On traverse une tourbière et c'est très humide pour les pieds. On doit franchir plusieurs petits ruisseaux, mais ce qui est le plus mouillant, ce sont les trous d'eau cachés dans les herbes hautes. C'est une fois rendu les pieds dedans qu'on découvre leur présence. À un certain moment, on aperçoit le phare à notre gauche, qui semble assez près. Mais le GPS indique qu'on doit traverser une zone encore plus humide si on veut y aller en ligne droite. Avec la pluie des derniers jours et la crainte d'avoir de l'eau jusqu'aux genoux, on continue vers le sud pour rattraper la mer et ensuite se rendre au phare en longeant la plage.
Phare de l'Escarpement Bagot
Le phare de Pointe-Sud, aussi appelé phare de l'Escarpement Bagot, a été construit autour de 1912 et ressemble beaucoup à celui de Pointe-au-Père, avec ses six arcs-boutants en béton. Il mesure plus de 24 mètres (80 pieds) de haut. Les résidences qui l'entouraient n'existent plus depuis plusieurs années. De plus, on l'a privé de sa lanterne, ce qui fait qu'il a un style bien particulier, différent de ce qui m'a été donné de voir des phares québécois. Heureusement, le site du phare est magnifique et vient équilibrer la structure austère. Je suis très heureux d'enfin pouvoir ajouter à ma collection l'un des phares les moins photographié du Saint-Laurent.
Pendant que Danièle cherche le meilleur lieu pour poser nos tentes, elle trouve sur la plage un tuyau en terre cuite encore fonctionnel qui semble provenir des anciennes maisons. De l'eau y coule toujours, vers la mer.
Pour ma part, je prends une trentaine de minutes pour faire des photos. Je profite des arbres morts de la tourbière pour faire des premiers plans avec le phare en arrière. Plusieurs cerfs sont présents sur le site. Il y en a un qui ne me trouve pas du tout effrayant. Il continue à manger en me guettant et en s'approchant au point de remplir mon viseur avec un objectif 300mm.
On soupe. Cassoulet sur le feu et un morceau de chocolat. Autre tournée photo jusqu'au coucher du soleil. Je marche en direction de la rivière, jusqu'à une pointe au loin, pour me permettre de distinguer la courbe du rivage, la silhouette du phare et le reflet du soleil qui se couchera à l'opposé. Je m'installe sur un billot de bois flotté et observe la scène. La lumière est magnifique. À un moment, je vais dans la mer, les deux pieds dans l'eau, pour avoir un reflet (la ligne lumineuse du soleil dans l'eau) jusqu'à moi. De toute façon, j'ai déjà les pieds mouillés. Après environ 30 minutes et plusieurs dizaines de photos, le soleil se couche sous l'horizon.
Je rejoins mes compagnes de voyage au camp. Après des heures à porter mon sac à dos et ensuite ma caméra, mon dos me fait mal. En enlevant mes chaussures mouillées, mes pieds « fument » près du feu. Quand on parle, on fait aussi de la buée. Je n'ai pourtant pas l'impression qu'il fait si froid, mais ça fait comme en hiver. Je me réchauffe les pieds, change mes bas et mets les sandales trop petites de Danièle (elle porte du 8) pour rester au sec pour la soirée.
La lune se lève à l'opposé du coucher du soleil. Elle est encore presque pleine et fait un beau reflet sur l'eau. On veille un peu sur le bord du feu mais pas pour longtemps. Françoise nous quitte vers 20 h 30. Danièle se couche peu après. Moi je toffe jusqu'à 21 h 15 et ensuite je me rends à ma tente, épuisé.
Je m'installe et prends quelques notes de la journée. Mais pas pour longtemps, le sommeil m'appelle. Je me réveille vers minuit et je prends une photo du phare sous les étoiles. Je m'étais installé un trépied et ma caméra avant de me coucher. Installés à l'intérieur de la tente, je n'ai eu qu'à ouvrir la porte et à appuyer sur le bouton pour avoir ma photo. Comme la lune est pleine, les étoiles sont difficiles à voir, même dans cet endroit sans aucune pollution lumineuse.
Fin du jour 3 : Aucune crevaison. Aucun chevreuil frappé sur la route.