Jour 2 : Cap de la Table
Mardi le 19 juillet
Réveil à 6 h 36. Soleil et vent. Petite sortie dehors. Il vente encore très fort de l'ouest. La lumière est belle, le soleil est encore bas. Plus bas que je ne l'aurais cru pour cette heure. Est-ce que c'est parce que je suis un peu plus au nord? Peut-être!
De retour à l'auberge, on discute en déjeunant. Crêpes au sarrasin avec fraises fraîches, compote de rhubarbe, yogourt nature et sirop d'érable. Café. Danièle raconte qu'il est difficile d'obtenir autre chose que du yogourt Yogo à la Coop (l'épicerie) du village. Même chose pour les aubergines. La nourriture fraîche arrive en bateau, mais il y a un délai de quelques jours entre l'arrivée du bateau et le moment où les produits se retrouvent sur les tablettes. Donc, rien n'est jamais aussi frais qu'en ville.
En route vers l'est
C'est un départ. Danièle, Françoise et moi. Destination Cap-de-la-Table, complètement à l'est de l'île.
Françoise Cot (pas Côté mais bien Cot, un nom de famille qui vient des Pyrénées) est une orthophoniste clinicienne retraitée, d'origine française mais résidant à Montréal depuis longtemps. Elle a publié quelques ouvrages sur la dysphagie. Elle s'adonne maintenant à la photographie et c'est son 5e voyage sur l'île. Elle se rendra avec nous dans l'est, un secteur qu'elle visitera pour la première fois.
Arrêt photo aux orchidées. Les fleurs, ce n'est pas vraiment mon sujet, mais ça intéresse Françoise et Danièle. Finalement, on trouve une platanthère dilatée (j'ai appris plein de termes latins!), petites fleurs blanches en hauteur sur une tige (Famille des orchidées). Danièle cueille du thé du Labrador pour nous faire un thé ce soir.
Arrêt à la maison de Danièle pour ramasser l'équipement de camping. Je me connecte au Wi-Fi et capte mes premières nouvelles de l'extérieur depuis près de 18 heures.
On va faire un lift à quelqu'un jusqu'au kilomètre 90. Notre covoitureur est Carol Vachon, biologiste et docteur en physiologie hormonale. Il a été chercheur en nutrition humaine et il a publié plusieurs ouvrages de référence. Décidément! Je suis le seul dans ce véhicule à n'avoir rien publié.
On roule sur la route Transanticostienne. C'est une route forestière de gravelle, la seule qui transverse de part en part l'île d'Anticosti, sur une distance de 264 km. Les résidents la nomment communément « l'autoroute ». Les 35 premiers kilomètres sont les plus faciles, avec des courbes douces et peu de dénivelé: c'est parce que c'était à l'origine un chemin de fer pour le transport du bois. Mais plus on avance, plus c'est étroit et plus ça brasse. Après une cinquantaine de kilomètres, je me rends compte que je ne me suis pas débarrassé de tous les désagréments de la ville en venant ici : il y a une zone de construction du Ministère des Transports. On doit se faufiler parmi les cônes orange, les travailleurs et la machinerie.
On dépose Carol à sa destination, avec son vélo, sa tente, sa nourriture et son équipement. Il prévoit se rendre à la baie de la Tour et il sera en solo pour les prochains jours.
Françoise, Danièle et moi, on s'arrête à l'Auberge McDonald. Localisée dans la baie de McDonald, l'auberge est le point de départ des activités de la Sépaq sur la côte nord d'Anticosti. On me présente aux employés de la Sépaq sur place. Le site est accueillant, mais on continue quelques kilomètres plus loin pour dîner au phare de Pointe-Carleton.
À ne pas confondre avec le phare de Carleton (pointe Tracadigash à Carleton-sur-Mer en Gaspésie), le phare de Pointe-Carleton est situé sur la pointe du même nom au centre-nord de l'île. C'est un phare de jalonnement, d'importance secondaire puisque la plupart des navires passent par le sud. Il a par contre son utilité pour ceux partant de Sept-Îles et qui naviguent par le détroit de Jacques-Cartier en direction des eaux internationales.
On dîne à l'abri du vent. Betteraves, saucisson, fromage Alfred le fermier, pouding Belsoy pour dessert. J'ai souvent vu des photos de l'endroit puisque c'était autrefois un centre d'information Sépaq. Mais les choses ont changé et tous les bâtiments sont abandonnés. C'est triste à voir. Je fais le tour du site pour prendre quelques photos. La porte du phare est débarrée alors je monte jusqu'en haut. Le feu est une lumière verte. Il y a eu de l'infiltration d'eau et de la verdure se développe sur le plancher de béton. Tout le site fait vraiment pitié. Si près de la route principale, dans un secteur de chasse prisé, à quelques kilomètres du parc national et de la zone de conservation... ça pourrait être en parfait état encore aujourd'hui.
On repart pour s'arrêter plus loin au camping Wilcox et voir l'épave du navire du même nom. Le Wilcox est un ancien balayeur de mines qui fut racheté par la Consolidated-Bathurst. Il s'est échoué en 1954 lors d'une tempête et il est devenu une attraction avec le temps.
Après être entré dans le secteur parc national de l'île, on s'arrête à nouveau à un autre incontournable : la chute de la rivière Vauréal. Elle est presque aussi haute que la chute Montmorency et tombe dans un canyon impressionnant. C'est Menier qui lui a donné ce nom, en l'honneur de l'une de ses résidences située dans la commune Vauréal en France.
Passé la chute, on est déjà plus à l'est que bien des gens sont allés. On quitte le secteur Sépaq et on accède, on longeant la rivière au Saumon, dans des lieux gérés par Safari Anticosti. Cette pourvoirie couvre une bonne partie de l'est de l'île, suite aux fusions de plusieurs pourvoiries indépendantes. Le propriétaire a fait construire son propre aéroport et ses installations sont autonomes en électricité et en connexion Internet.
On quitte la Transanticostienne pour prendre la route qui longe la rivière-au-saumon. Danièle nous laisse sur le bord de la rivière, Françoise et moi, le temps d'aller changer un piège à tordeuse d'épinette plus loin. Ça fait partie de son emploi de technicienne de la faune, son vrai métier. Françoise fait de la photo et moi je relaxe sur le bord de l'eau. J'écoute le bruit de la cascade à ma gauche. Le soleil est chaud. Un peu de vent pour rafraîchir. Je ferme les yeux et ne fais qu'écouter mes sens.
Le changement de piège était supposé prendre environ une heure mais en moins de 40 minutes, on est repartis. On suit la route qui longe la rivière pour nous mener jusqu'à la mer, côté nord. Moment redneck : on voit sur la route, en face de nous, un chariot élévateur qui roule en notre direction en traînant une carcasse de pickup rouge. Cette vision loufoque prend toute la largeur de la route et ne laisse pas de choix quant au chemin à emprunter. Un instant d'hésitation et, heureusement, le véhicule et son chargement tournent dans un chemin secondaire juste avant d'arriver à nous. J'ai vérifié plus tard sur Google Maps et il y a effectivement une cour à scap à cet endroit. Je ne suis pas certain de comprendre ce que ça fait là, mais ça m'amuse quand j'y repense.
Juste avant de rejoindre la mer, on prend à droite dans un petit chemin vers l'est. Ce chemin est bordé d'une grosse pierre plate, comme un menhir qui tient debout. On retrouve plusieurs de ces roches tout au long de la route. L'ancien propriétaire des lieux avait apparemment une passion pour les rochers. Ça devient de plus en plus petit et sinueux. Ça brasse. J'me sens loin tout d'un coup. Cette impression d'être les seules personnes à des kilomètres à la ronde et que personne ne viendrait à nous si on tombait en panne.
On roule, on roule, on roule encore. C'est vraiment long. Cap-de-la-Table c'est fuckin' loin. La végétation change un peu dans le bout de la rivière Schmitt. Il y a de grandes tourbières. Les arbres sont de plus en plus petits.
Depuis le début, on rencontre plusieurs chevreuils sur la route. Parfois, ils se sauvent tout de suite dans la forêt, parfois ils hésitent. Dans ce cas, il faut ralentir pour ne pas les frapper. Danièle m'apprend qu'un chevreuil perçoit mieux les mouvements latéraux que les distances. C'est probablement dû à une faible vision en 3 dimensions. Donc, quand il nous voit nous approcher, il lui arrive de figer pour analyser ce qui se passe. Le truc de Danièle, c'est de faire un petit mouvement latéral avec son véhicule pour signifier notre présence plus clairement et faire fuir le chevreuil.
Après ce qui m'a semblé des heures, un panneau indique Fox Bay à droite et Cap-de-la-Table à gauche. Nous arrivons à la station de phare vers 17h.
Phare de Cap-de-la-Table
Le phare de Cap-de-la-Table est semblable à celui de Pointe-Carleton, tant par son architecture que son année de construction. Sa lumière est rouge au lieu d'être verte. Les maisons du gardien, de l'assistant et les autres bâtiments ont été détruits récemment. Il ne reste donc plus que des fondations, la tour du phare, quelques éléments ayant servi à l'époque et des œuvres d'art en pierre sculptée qui ont été créées lors d'une activité artistique. Pour le reste, c'est un pré verdoyant, avec des herbes hautes et plein de plantes qui piquent.
Ah oui... et des maringouins. J'avais eu une initiation à la baie Ellis. Maintenant j'ai la totale. J'ai beau m'être mis du off à 3 reprises et porter 3 épaisseurs de vêtements, je me fais piquer quand même. Je croirais être à la convention mondiale annuelle des maringouins. Heureusement, ce sera ma pire rencontre du voyage avec les moustiques.
À notre arrivée, la lumière est déjà très belle. Je commence la photo et je ne m'arrête qu'après le coucher du soleil. Je croise deux cerfs et on s'observe mutuellement pendant un moment. Une fois le phare rendu dans l'ombre, je vais rejoindre les autres pour le souper. Danièle prépare des pâtes et de la ratatouille comme sauce. Le brûleur est fort et la sauce goûte un peu le brûlé. Par contre, Danièle a eu la bonne idée d'apporter une bouteille de vin. Ça fait passer le goût de brûlé de belle façon.
Après le souper, je retourne avec Françoise au phare. On s'amuse pendant plusieurs minutes avec des techniques de lightpainting du phare dans la nuit, avec son flash cobra et nos lampes frontales. On fait aussi quelques photos de la lune qui est pleine ce soir là.
Je me couche vers 10 h 15.
Fin du jour 2 : Aucune crevaison. Aucun chevreuil frappé sur la route.